Comme eux…

(Ainsi parlait le vieil aborigène martiniquais)
Nous vivons comme eux… désormais.
Chacun dans sa cage de béton,
Aigri comme un jour sans pain,
Chacun dans sa petite lucarne numérique,
Connecté au royaume des ondes wifi.
Chacun dans son téléviseur à écran unidimensionnel,
Enrubanné dans le sarcophage des télénovélas.
Chacun dans son horloge cadencée au pas de l’oie,
Sous le tic-tac de plomb de l’implacable solitude.
Chacun dans son sanglant sillon quotidien,
Le front labouré des mêmes éternels soucis.
Chacun dans sa cellule 4 G, 5G, 6G…
Masturbant ses touches bavardes et muettes.
Chacun dans ses petits meubles en kit,
Taillés dans la gueule de bois du crédit à la consommation.
Chacun dans son caddy à roulettes,
Empaillé de néant et de vide.
Chacun dans le cimetière de ses passions perdues,
Egrenant le chapelet de ses rêves mort-nés.
Chacun dans ses calculs à géométrie variable,
Avec la cruelle inconnue de l’ombre.
Nous vivons comme eux.
Dans leur prison de peurs et d’objets muets,
Dans cette prison glacée qu’ils nomment « modernité », « développement », « progrès ».
Nous vivons comme eux… désormais.
Pas de temps pour se voir,
Rien que pour se dire deux mots et quatre paroles.
Pas de temps pour se rendre visite,
Rien que pour se regarder et se toucher la main.
Pas de temps pour partager un repas,
Rien que pour se taper sur le ventre.
Pas de temps pour piquer ensemble une tête dans l’eau,
Rien que pour faire quelques vagues.
Pas de temps pour écouter chanter la nuit,
Rien que pour savourer la musique des étoiles.
Pas de temps pour blablater autour d’un verre,
Rien que pour respirer le parfum d’un jus de fruits.
Pas de temps pour rigoler avec les vieux,
Rien que pour nous rafraichir la mémoire.
Pas de temps pour rire avec les enfants,
Rien que pour refleurir notre âme.
Pas de temps pour nous aimer,
Rien que pour remercier le jour de briller.
Pas de temps pour mordre dans la chair de la vie,
Rien que pour nous sentir humains, ensemble et bien vivants.
Pas de temps, pas de temps pour rien,
C’est très exactement ce qu’ils disent,
Dans leurs pays couverts de marchandises, de glace et de tristesse
Ces pays où le temps n’existe plus.
Ces pays où seuls comptent l’or et l’argent.
Nous vivons comme eux,
Hors du temps,
Hors de notre vie,
Hors de la vie,
Et, comme eux,
Nous voilà entrainés
Dans la ronde obscène des zombies,
Hallucinés
Par la danse aveugle et folle,
Des démons de béton, de luxure et d’acier…

Martinique….Novembre 2016.

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